dimanche 29 septembre 2013

Voyage aux centres de la 'littérature mondiale'


Jérôme David, professeur de littérature à l’Université de Genève, publie en ce début d’année un livre surprenant, très utile et captivant. À découvrir d’urgence.

Spectres de Goethe. Les métamorphoses de la 'littérature mondiale' (Les prairies ordinaires, 2012) fera date, parce qu’il fait imploser le modèle de l’essai, sans sacrifier aux exigences d’une recherche scientifique.
Feuilletez les pages; une série d’entretiens à deux voix, localisés dans plusieurs grandes villes, chacune étant liée, plus ou moins étroitement, à l’histoire de la notion de "littérature mondiale", thème des discussions.
"Ce qui importe, c’est de parcourir certains pans de cette histoire en vue de mettre au jour des lignes de force qui éclairent les malentendus contemporains autour de la notion." (p. 25)
La rencontre entre l’auteur et son interlocuteur mystérieux, toujours de noir vêtu, dont le statut emprunte autant à l’étranger qu’au collaborateur, a lieu dans un hall d’aéroport. Au fil de leurs déplacements-retrouvailles, ils abordent  entre autres Goethe, Marx, Auerbach, Edward Said, David Damrosh, Franco Moretti. Systématiquement ils s’arrêtent sur la traduction. A chaque fois émerge le souci de conceptualiser. Les conceptualisations sont étudiées minutieusement.
La forme du dialogue confère à la recherche un autre rythme, une autre dramaturgie.  Elle exacerbe la dimension débattue, polyphonique, ouverte, de toute enquête théorique.
Quelle conclusion au terme du périple ? "Nous avons constaté que la notion de 'littérature mondiale' était souvent mobilisée par des intellectuels qu’inquiétait l’éventualité d’une mondialisation par le bas, une mondialisation exclusivement marchande qui eût été selon eux délétère pour la littérature." (p. 281)
Il y a un drame dans ce texte aux mille facettes. La découverte aux deux tiers de l’ouvrage d’un oubli, d’une lacune, qui fait l’auteur s’interroger dans son lit le soir : « Pourquoi n’avais-je pas intégré d’emblée La République mondiale des Lettres dans le corpus de nos conversations ? Réflexe misogyne inconscient de ma part ? Une malédiction phallocrate planait-elle sur la notion de 'littérature mondiale' ?" (p. 255)
L’implication d’un sujet dans une recherche, c’est-à-dire avec tout ce que ce sujet traîne d’histoire, de lectures, de psychologie, et en retour l’effet de celle-ci sur celui-là, parfois considérable – car il peut comme ici réinventer l’écriture– sont certainement à compter parmi les enseignements de ce livre que j’ai reçu comme un éblouissement.

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