mardi 12 décembre 2017

« Maurice G. Dantec : visions du chaos », propos recueillis par Eric Cervera, Rage, n° 18, mai 1996, p. 58.

« C'est vrai que sur Internet, tu peux trouver tout ce que tu veux. Si tu as envie de fabriquer une bombe dans ta cuisine, en cherchant un peu, tu trouveras toutes les informations nécessaires pour y arriver. Mais rien n'oblige à fabriquer une bombe. C'est un peu comme l'énergie nucléaire, tu peux t'en servir pour créer des centrales civiles comme pour des bombes. Tous types d'infos sont disponibles sur Internet, à chacun des les utiliser comme il l'entend. Il y a du positif et du négatif en toutes choses. La communication en réseau est intéressante car elle échappe à tout contrôle gouvernemental, et ne connaît pas de frontières. Elle annonce d'une certaine façon la fin du système de politique et d'Etats que nous connaissons. Ce réseau culturel mondial va dissoudre les frontières, les barrières sociales et ethniques. Les valeurs auxquelles nos politiques s'accrochent désespérément vont disparaître, car le contrôle quasi absolu que les gouvernements essayaient d'avoir sur l'information et la culture va complètement leur échapper. Ce qui va en découler ? Probablement un chaos énorme dans un premier temps, puis, par la suite, de nouvelles règles du jeu en ce qui concerne les échanges culturels à l'échelle mondiale, ce qui aura forcément un impact sur notre civilisation.
[...]
Je pense que dans un futur proche, on va se rendre compte que les substances hallucinogènes sont un moyen de se connecter aux machines, dans un univers virtuel où esprit et machine pourront se retrouver et dialoguer. Imagine les conséquences que cela aura, car dans ce cas, pour communiquer avec les machines, ces hallucinogènes devront être non seulement commercialisés, mais aussi officiellement produits. Les gouvernements devront alors légaliser et aussi produire ces substances, jusque-là interdites et illégales. Ça va être un beau bordel ! C'est génial, non ? »

vendredi 8 décembre 2017

Donald Morrison, Que reste-t-il de la culture française ?, trad. Michel Bessières, Paris, Denoël, 2008, p. 75-76.

« Le magazine économique allemand Capital, qui suit de très près la scène artistique internationale, a mis au point un instrument fiable ou, du moins, généralement reconnu comme tel. Chaque année, le magazine publie son Kunst Kompass (boussole de l’art), soit la liste des cent artistes les plus influents dans le monde, à partir d’une formule complexe qui prend en compte divers critères tels que les mentions dans les principales publications consacrées à l’art, la présence d’œuvres dans les grandes collections et la participation aux manifestations d’envergure internationale. En 2007, l’Allemagne comptait trente-six noms sur cette liste, les États-Unis, vingt-six, le Royaume-Uni, onze. La France, elle, devait se contenter de quatre mentions (Christian Boltanski, Daniel Buren, Sophie Calle et Pierre Huyghe). Aucun Français n’apparaissait parmi les dix premiers, alors que quatre Allemands et quatre Américains y figuraient. »

lundi 4 décembre 2017

Renaud Camus, La Grande Déculturation, Paris, Fayard, 2008, p. 150-151.

« Le modèle, la référence mythique, la seule forme actuellement concevable d’une lointaine et infime espérance, ce sont les couvents du haut Moyen Âge, où trouvèrent un abri, au milieu de la violence et de la barbarie, et dans l’attente d’hypothétiques temps meilleurs, autant de lambeaux de la civilisation antique qu’il était possible d’en sauver tant bien que mal. Nos couvents à nous, laïques et culturels, ne pourront sans doute pas être réels, car il n’y a plus d’isolement possible sur le territoire entièrement quadrillé, commercialisé, banalisé, aménagé, viabilisé, couvert, de la banlieue universelle. En revanche, et sauf effondrement cataclysmique de ce système-là, il ne tient qu’à nous que de tels sanctuaires soient virtuels, et jamais dans l’histoire de l’humanité le virtuel n’a tenu entre ses lacs tant de réalité et de substance. Nous voyons tous les jours Internet, géniale invention aux usages fourvoyés comme tant d’autres avant elle, servir à la fois d’instrument et de vitrine à la grande déculturation. Il ne tient qu’à nous, à ceux qui le désirent, qu’il soit aussi – il l’est déjà un peu – le moyen d’un sauvetage, l’instrument d’une préservation et le témoin d’une survie. »

mercredi 22 novembre 2017

Rabbi Ephraim Wachsman, Citi Field, New York, 20 mai 2012, in Heidi Ewing et Rachel Grady, One of Us, 2017.

"Les gens entrent dans un nouveau monde. Comme la mouche qui pénètre dans la toile d'une araignée. Il y a ceux qui sont pris au piège. Nous sommes là pour écouter l'appel des chefs spirituels de notre nation qui ont détecté et identifié les dangers de l'Internet. Cette chose qui menace notre existence et notre survie en tant que peuple de Dieu. J'ai vu de mes propres yeux des gens confier, à des enfants de 11 ans, des BlackBerry, des iPhone, des iPod. Ont-ils perdu la tête ? Chers juifs, chers frères, chères soeurs, qu'est-il en train de nous arriver ? Que sommes-nous en train de devenir ? La nation de la Torah va-t-elle être réduite à devenir un peuple de yentayachna.com ? On bat en retraite depuis des années. 'On ne peut rien faire pour arrêter ça.' On a battu en retraite. On ne peut plus battre en retraite. Ce soir, on dessine une ligne de démarcation dans le sable et à partir de maintenant, on va de l'avant."

mardi 21 novembre 2017

[Grimod de La Reynière], Almanach des Gourmands, Paris, Maradant, 1803, p. 200-203.

"Il ne nous appartient point de décerner la palme, même dans l'art de varier toutes les formes du cochon ; mais s'il falloit porter un jugement dans cette partie, nous serions bien tentés de la donner à M. Corps, charcutier, rue St.-Antoine, près celle Cloche-Perche, très - renommée chez les Gourmets pour toutes les marchandises qui sortent de sa fabrique. Ses saucisses sont croquantes, et d'un excellent sel ; ses boudins sont de la crême en boyau ; ses andouilles délicates, sans être trop grasses ; ses cervelas, soit au poivre, soit aux truffes, soit à l'ail, rivalisent avec ceux de Lyon ; son jambon a ce degré de sel qui est le secret des grands hommes de l'art ; ses pieds de cochon farcis aux truffes et aux pistaches, sont dignes de la table des Dieux : enfin, ses langues n'ont jamais dit que d'excellentes choses. Aussi la foule est-elle chez M. Corps, malgré son éloignement du centre de Paris ; et n'a pas, de ses articles, qui veut : car, malgré l'activité de cinq à six aides et de plusieurs commis, il ne peut suffire aux demandes verbales, ni à la correspondance.
[...]
Avant de traverser la rivière, voyons si nous n'avons rien oublié dans cette partie de Paris. Ah ! M. Brigault, restaurateur, rue Fromenteau, jouissoit de quelque réputation : allons voir s'il la mérite toujours. Mais, quoi ! Sa porte, ci-devant ouverte à tout le monde, et son hôtel, le passage le plus commode et le plus fréquenté de Paris, sont impitoyablement fermés. Fuyons ! Un restaurateur qui, mû par quelque motif que ce soit, fait une telle insulte au public, ne mérite plus que le public se rende chez lui. Puisse-t-il, puisqu'il ferme ainsi sa porte au nez des gens, n'être jamais troublé dans son égoïste solitude !"

Grant Blank, Critics, Ratings, and Society. The Sociology of Reviews, Lanham, Rowman & Littlefield, 2007, p. 43.

"There was a first restaurant, opened in Paris in 1766 by a man named Mathurin Roze de Chantioseau. The establishment was named after its primary product; an intense bouillon broth called a restaurant, or restorative. Restoratives were believed to be exceptionally easy to digest and particularly good for people with pulmonary problems. They were a popular fad among health-conscious Parisians at the time. The health focus explains the development of many key characteristics of restaurants: personalized service to treat individual maladies, menus that allowed patrons to make the choices to treat their personal problems, and wide hours of service since patrons in fragile health might need restorative at any time. Their original audience of consumptive men soon expanded to include women, who were believed by the health authorities of the time to be vulnerable to weak chests and digestive problems. Their wide hours of service and individual table service made them attractive to travelers. Other restaurants soon followed, and by the 1780s, they had evolved into something like their modern form; offering a menu of dishes at fixed prices, available at all hours, by waiters serving diners sitting at individual tables."

lundi 13 novembre 2017

N. Katherine Hayles, Lire et penser en milieux numériques. Attention, récits, technogenèse [2012], trad. Christophe Degoutin, Grenoble, ELLUG, 2016, p. 143-144.

"Un projet semblable est en cours à l'université Carnegie-Mellon, le programme Never-Ending Langage-Learning (NELL), dirigé par Tom M. Mitchell et son groupe d'étudiants de troisième cycle en informatique. Dans leur rapport technique, ils définissent un exercice de lecture, visant à « extraire des informations d'un texte du Web pour remplir une base de connaissances d'un nombre toujours croissant de faits et de connaissances structurés » et un exercice d'apprentissage, visant à « apprendre à lire chaque jour un peu mieux que la veille, comme en témoigne [la capacité du programme] à retourner aux textes sources de la veille et à en tirer plus d'informations et avec plus de précision. ». Le programme informatique consiste en quatre modules, au nombre desquels figurent un système d'apprentissage des règles [« Rule Learner »] et un algorithme d'apprentissage semi-supervisé [« Coupled Pattern Learner »] qui extrait des instances de catégories et de relations à partir de textes « dans la nature » (autrement dit, dans l'immense ensemble de textes présents sur le Web, sans contraintes ni limites). À partir de ces modules, le programme construit des « faits candidats » ; en se basant sur un degré de confiance élevé dans un module ou des degrés de confiance inférieurs dans plusieurs modules, il élève alors certains candidats au statut de « croyances ». Le programme fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et il est en outre itératif, fouillant constamment le Web à la recherche de textes et construisant des relations du type « X appartient à Y qui est un Z ». Les chercheurs avaient initialement classé la base de connaissances selon 123 catégories et 55 relations ; au bout de 67 jours, elle comportait 242 453 nouveaux faits avec une précision estimée à 74 %. Cette procédure présente un risque, parce que le programme teste la cohérence de nouveaux faits candidats à partir de faits qui figurent déjà dans la base de données. Si un fait incorrect parvient à y entrer, il tend à favoriser l'acceptation d'autres faits incorrects. Pour corriger cette tendance, les lecteurs humains vérifient le « système d'apprentissage des règles » et d'autres modules du programme, dix à quinze minutes tous les jours, pour corriger les erreurs que le programme ne corrige pas de lui-même. NELL n'est donc pas un système non supervisé mais un programme « semi-supervisé ». Une consultation récente du site Web a révélé ces différents « faits appris récemment » : « un organiste au ventre orange est un oiseau » et « le vastes médiales est un muscle ». Les erreurs du programme sont aussi révélatrices que les inférences correctes. La même consultation a fait apparaître quelques perles : « les infractions contre les biens est une sorte d'événement militaire », « les angleterres est un groupe ethnique » et ma préférée, « l'anglais est la langue du pays Japon ». Si l'on pense aux informations disponibles sur le Web à propos de l'anglais et du Japon, par exemple, la dernière inférence devient compréhensible, à défaut d'être exacte."

jeudi 12 octobre 2017

David Porter, "Introduction", Internet culture, New York and London, Routledge, 1996, p. XI-XII.

"There are words, but they often seem to be words stripped of context, words desperately burdened by the lack of the other familiar markers of identity in this strange, ethereal realm. It is no wonder that these digitalized words, flung about among strangers and strained beyond the limits of what written language in other contexts is called upon to do, are given to frequent misreading, or that they erupt as often they do into antagonistic 'flames'. In a medium of disembodied voices and decontextualized points of view, a medium, furthermore, beholden to the fetishization of speed, the experience of ambiguity and misreading is bound to be less an exception than the norm."

jeudi 18 mai 2017

Kurosawa Kiyoshi, Kairo [2001], trad. Karine Chesneau, Arles, Philippe Picquier, 2002, p. 62-63.

"- Quand on trouve que ça ne marche pas du tout entre soi et le monde, l'ordinateur peut apparaître comme un objet très attirant. Ce n'est qu'une machine, bien sûr, avec des bases de fonctionnement simplistes. Mais à force de le bidouiller ici et là et de développer ses capacités avec toutes sortes de logiciels, on lui découvre souvent des possibilités que personne n'avait imaginées au départ. Il y a des gens qui croient aveuglément aux possibilités illimitées des machines et d'autres qui craignent que ces boîtes inquiétantes n'échappent à leur contrôle, ce qui pourrait faire l'affaire de Dieu ou du diable.
- Pour moi, c'est le diable!
- Moi, quand on me pose la question, je me limite à dire et à redire que c'est un produit dont on a une connaissance imparfaite. Il faut que les scientifiques poursuivent leurs recherches mais c'est de le vendre comme produit de masse qui a été une erreur. L'ordinateur n'est pas dangereux. Le danger, c'est les divagations de ceux qui les manipulent. Que ce soit pour la drogue, les armes, l'énergie nucléaire, tout ce qui représente un danger, les Etats établissent des systèmes de contrôle, non? Mais pas pour les ordinateurs. On a l'impression qu'ils ne présentent aucun risque en soi. La preuve, au début, on ne savait même pas à quoi ils pourraient servir. Si bien qu'on n'a jamais imaginé que l'homme puisse en faire une machine infernale!"

mardi 16 mai 2017

Alain Finkielkraut, "Fatale Liberté", in Alain Finkielkraut et Paul Soriano, Internet, l'inquiétante extase, Paris, Mille et une nuits, 2001, p. 29-31.

"Un chapitre de l’ouvrage À l’école des robots, tout à fait intéressant, est intitulé, de façon prospective, ‘25 novembre 2010, Projet Rimbaud’. Le Projet Rimbaud est un travail collectif et multinational. Trois établissements y participent: les collèges de Courbevoie et Charleville, et le Centre culturel français au Yemen. Il doit aboutir à la création en commun d’un DVD sur l’œuvre du poète et sa vie aventureuse.
Un agent pédagogique virtuel, baptisé Verlaine, coordonne les contributions des élèves et les interventions des trois professeurs: des enseignants numériques déchargent les enseignants humains de leurs tâches les plus répétitives. Verlaine et les trois éducateurs charnels travaillent, si j’ose dire, main dans la main…
Les tâches sont partagées: à Charleville et à Courbevoie, on mène des enquêtes sur le parcours du poète en France (évocation du Paris de 1870 avec une caméra vidéo numérique) à Aden; on s’intéresse, bien entendu, à la saga africaine du poète.
Les trois classes travaillent en outre sur ‘Le Dormeur du val’. ‘Ce sonnet dénonçait la cruauté des combats de façon étonnamment moderne, écrit Michel Alberganti. Au-delà de l’analyse de la construction du poème, les élèves, qui ont l’âge du poète, tenteront d’en écrire de nouvelles versions à partir de leurs propres sentiments sur la mort violente d’adolescents.’
Avec tous ces merveilleux instruments, avec toutes ces techniques futuristes, nos élèves deviendront-ils de meilleurs lecteurs de Rimbaud attentifs à ce qu’il a d’unique et peut-être d’inactuel à nous dire? Non, bien sûr, car il leur faudrait pour cela s’immobiliser, se débrancher, s’écarter de leurs habitudes et de leurs allégeances, non se mettre en réseau.
Un poème est un poème, et c’est sur une feuille imprimée qu’on peut le découvrir, y revenir, l’apprendre, l’expliquer. Il faut aux mots du poème un domicile fixe, un lieu où on les laisse tranquilles. Ce lieu, c’est le livre.
L’écran remplit donc un tout autre rôle. L’élève internaute n’est plus lecteur, mais un reporter du passé, un collecteur d’informations, un journaliste dans l’Histoire. Et c’est aussi un créateur, un jeune stimulé par un autre jeune – Arthur – à mettre en mots sa révolte contre la société, contre la police, contre le racisme.
Nul besoin d’Internet pour lire. On a besoin d’Internet, en revanche, pour noyer le livre. On a besoin d’Internet pour mettre les mots en mouvement, pour les faire voler, pour en finir avec le scripta manent! On a besoin d’Internet pour passer de l’auteur et des égards qu’on lui doit à la communication exubérante et au droit d’être auteur désormais reconnu à chacun. On a besoin d’Internet pour dissoudre toute sacralité, toute altérité, toute transcendance dans l’information et dans l’interaction. On a besoin d’Internet pour passer de l’œuvre à ce qu’on appelait, avec une subversive majuscule, dans les années soixante-dix, le Texte."

mardi 9 mai 2017

Alistair "The Doctor" Pratt, in William Malone, FeardotCom, 2002.

"Toi et moi avons une grande responsabilité envers eux. Ils sont là pour voir mais aussi pour apprendre. Nous expliquerons donc que réduire les relations à des signaux électroniques anonymes est une perversion."

"Internet offre la naissance, le sexe, le commerce, la séduction, le prosélytisme, la politique, l'artifice. La mort s'y inscrit logiquement. Une expérience d'autant plus intime qu'on connaît la victime."

Le Books du jour, "Un livre fait (et défait) par ses lecteurs", 9 mai 2017.

"Quand vous ouvrez A Universe Explodes, vous trouvez une histoire signée de Tea Uglow mais aussi des dizaines de modifications faites par les lecteurs précédents. Car pour lire ce roman, uniquement disponible en format numérique, il faut que le lecteur travaille.
A chaque page, il doit retirer deux mots et en ajouter un. Sans cela, il ne peut pas découvrir la suite de l'histoire. Cent exemplaires ont été confiés à des 'propriétaires', charge à eux de le modifier et ensuite de le transmettre à un nouveau lecteur-éditeur. A chaque changement, ils créent un livre différent, tout en le détruisant petit à petit puisque de plus en plus de mots disparaissent. Mais ce n'est pas un problème. Car ce livre se veut une exploration philosophique du concept de propriété: que se passe-t-il quand elle n'est plus définie par l'achat mais par l'interaction avec l'objet?
L'auteur Tea Uglow explique que ce projet cherche à recréer le lien entre le lecteur et le livre numérique, qui contrairement au papier n'est pas lentement détruit par les surlignages, notes, pages cornées ou arrachées... Si l'expérience ne donne pas vraiment l'impression d'être propriétaire, souligne Richard Lea dans The Guardian, 'il sera intéressant de voir les différentes éditions évoluer et se désagréger', d'autant plus que l'histoire initiale est celle d'une vie qui part en déconfiture."

jeudi 4 mai 2017

Carl Wilson, Let’s Talk About Love. Pourquoi les autres ont-ils si mauvais goût ? [2014], trad. Suzy Borello, Marseille, Le mot et le reste, 2016, p. 87-88.

"En collaboration avec le compositeur et neuroscientifique new-yorkais Dave Soldier, ils [Vitaly Komar et Alexandir Melamid] menèrent une enquête de plus petite envergure sur Internet afin de produire une musique adaptée au goût du public, ‘The People’s Choice Music’. Selon les exigences du sondage, l’hilarant ‘Most Unwanted Song’, la ‘chanson la moins désirée’, dure plus de vingt-cinq minutes et inclut des accordéons, de la cornemuse, un chœur d’enfants, du banjo, de la flûte, du tuba et des synthétiseurs (l’unique instrument présent à la fois dans le titre le plus et le moins désiré), ainsi qu’un mélange d’opéra, de rap, de musique d’ambiance et atonale, de jingles de publicité et de chants de Noël. La chanson ‘la plus désirée’, celle qui serait ‘inévitablement ‘appréciée’ de manière incontrôlable par soixante-douze pour cent, avec une marge d’erreur de douze pour cent, des auditeurs’, consiste en un slow de R&B avec un duo homme-femme sur fond de guitare, de sax, de batterie, de synthés et de cordes. Selon les critiques, on aurait cru entendre… du Céline Dion ; tous affirmèrent préférer largement la chanson ‘la moins désirée’."

vendredi 10 mars 2017

Chris Anderson, La Longue Traîne. Quand vendre moins, c'est vendre plus [2006], Paris, Flammarion, 2012, p. 68-69.

"Le premier à avoir montré au consommateur américain ce que tout cela pouvait lui apporter fut un employé des chemins de fer de North Redwood, dans le Minnesota. Il s’appelait Richard Sears. Un jour de 1886, un bijoutier de Chicago adressa par erreur une caisse de montres à un distributeur local de North Redwood qui n’en voulait pas. Sears racheta les montres pour son compte puis les vendit à d’autres cheminots de la ligne, réalisant au passage un joli bénéfice. Ce qui le décida à en acheter d’autres et à lancer une entreprise de distribution horlogère.
En 1887, il transféra son affaire à Chicago et fit paraître dans le Chicago Daily News une offre d’emploi pour une personne capable de réparer des montres (il était absurde, se disait-il, de mettre au rebut les montres défectueuses qu’on lui renvoyait). Alvah C. Roebuck envoya sa candidature. Six ans plus tard, tous deux s’associèrent pour fonder Sears, Roebuck and Co., qui allait vendre des montres par correspondance en envoyant des catalogues aux agriculteurs saignés par les boutiques locales et les innombrables intermédiaires.
La promesse de Sears, Roebuck and Co. était simple, si l’on en croit son histoire officielle : ‘Grâce à de gros volumes d’achats, aux chemins de fer et à la poste, et plus tard au colis postal et à la distribution gratuite en zone rurale, la société proposait une alternative bienvenue aux magasins ruraux à tarifs élevés.’
Née avec les montres, l’entreprise ne tarda pas à s’étendre à tout ce dont un foyer ou une entreprise rurale pouvait avoir besoin. Sears et Roebuck distribuaient aux agriculteurs des catalogues pleins de textes accrocheurs rédigés par Sears lui-même, puis répondaient à leurs commandes à partir de leurs immeubles de Chicago, de plus en plus grands. Les deux associés finirent par investir 5 millions de dollars dans la construction de bureaux et d’ateliers de VPC dans les quartiers ouest de Chicago. Lors de son ouverture en 1906, avec près de 300 000 m2 d’ateliers consacrés à la VPC, cet établissement était le plus grand immeuble commercial du monde."

samedi 4 février 2017

Ashlee Vance, Elon Musk. Tesla, PayPal, SpaceX: l'entrepreneur qui va changer le monde [2015], trad. Michel le Séac'h, Paris, Groupe Eyrolles, 2016, p. 202-203.

"Pour ceux qui ont résolu les énigmes, répondu intelligemment aux entretiens et rédigé un texte de qualité, la récompense est une rencontre avec Musk. Il s’est entretenu avec la quasi-totalité des mille premiers collaborateurs de SpaceX, agents de sécurité et techniciens compris ; quand le personnel de l’entreprise est devenu trop nombreux, il a continué à rencontrer les ingénieurs. Avant d’être introduit, chaque salarié a droit à un avertissement : l’entretien peut durer entre trente secondes et quinze minutes, lui dit-on. Elon continuera probablement à rédiger des e-mails et à faire son travail pendant la première partie de l’entretien, sans parler beaucoup. Ne paniquez pas. C’est normal. À un moment, il fera pivoter son siège pour vous faire face. Là encore, pourtant, il se peut qu’il ne vous regarde pas dans les yeux ou ne semble pas totalement conscient de votre présence. Ne paniquez pas. C’est normal. Le moment venu, il s’adressera à vous. Et là, les récits d’ingénieurs qui ont rencontré Musk couvrent tout l’éventail de la torture au sublime. Il peut poser une seule question ou plusieurs. Mais vous pouvez être sûr qu’il vous sortira LA devinette : ‘Vous êtes sur la surface de la Terre. Vous marchez un kilomètre vers le sud, un kilomètre vers l’ouest et un kilomètre vers le nord. Vous vous retrouvez exactement à votre point de départ. Où êtes-vous ?’ L’une des réponses est ‘au pôle Nord’, et la plupart des ingénieurs pigent tout de suite. Alors, Musk reprend : ‘Et où encore pourriez-vous être ?’ L’autre réponse est quelque part du côté du pôle Sud, là où, si vous marchez un kilomètre vers le sud, la circonférence de la Terre se réduit à un kilomètre. Les ingénieurs sont moins nombreux à trouver cette réponse, et Musk se fait un plaisir de leur expliquer l’énigme, ainsi que d’autres, en émaillant ses explications des équations convenables. Il tend à s’intéresser moins à la réponse donnée par son visteur qu’à la manière dont il décrit le problème et sa démarche pour le résoudre."

samedi 28 janvier 2017

Dominique Boullier, Sociologie du numérique, Paris, Armand Colin, 2016, p. 52.

"Dans le public, la notion de bug fut rendue populaire grâce au ‘bug’ de l’an 2000 (Y2K)… qui n’était pas un bug ! Il s’agissait d’un choix technique effectué sous contrainte dans les années 1960 et qui consistait à coder la date en deux chiffres et non en quatre : 1901 était codé 01 et donc équivalent à 2001 (et cela avec les anciens langages de programmation comme le Cobol). Les choix techniques les plus ‘raisonnables’ ont des conséquences inattendues lorsque le numérique devient pervasif : toutes les ‘puces’ présentes dans le moindre de nos appareils, dont les ascenseurs, sont devenus visibles à ce moment de la panne (potentielle)."