mardi 12 décembre 2017

« Maurice G. Dantec : visions du chaos », propos recueillis par Eric Cervera, Rage, n° 18, mai 1996, p. 58.

« C'est vrai que sur Internet, tu peux trouver tout ce que tu veux. Si tu as envie de fabriquer une bombe dans ta cuisine, en cherchant un peu, tu trouveras toutes les informations nécessaires pour y arriver. Mais rien n'oblige à fabriquer une bombe. C'est un peu comme l'énergie nucléaire, tu peux t'en servir pour créer des centrales civiles comme pour des bombes. Tous types d'infos sont disponibles sur Internet, à chacun des les utiliser comme il l'entend. Il y a du positif et du négatif en toutes choses. La communication en réseau est intéressante car elle échappe à tout contrôle gouvernemental, et ne connaît pas de frontières. Elle annonce d'une certaine façon la fin du système de politique et d'Etats que nous connaissons. Ce réseau culturel mondial va dissoudre les frontières, les barrières sociales et ethniques. Les valeurs auxquelles nos politiques s'accrochent désespérément vont disparaître, car le contrôle quasi absolu que les gouvernements essayaient d'avoir sur l'information et la culture va complètement leur échapper. Ce qui va en découler ? Probablement un chaos énorme dans un premier temps, puis, par la suite, de nouvelles règles du jeu en ce qui concerne les échanges culturels à l'échelle mondiale, ce qui aura forcément un impact sur notre civilisation.
[...]
Je pense que dans un futur proche, on va se rendre compte que les substances hallucinogènes sont un moyen de se connecter aux machines, dans un univers virtuel où esprit et machine pourront se retrouver et dialoguer. Imagine les conséquences que cela aura, car dans ce cas, pour communiquer avec les machines, ces hallucinogènes devront être non seulement commercialisés, mais aussi officiellement produits. Les gouvernements devront alors légaliser et aussi produire ces substances, jusque-là interdites et illégales. Ça va être un beau bordel ! C'est génial, non ? »

vendredi 8 décembre 2017

Donald Morrison, Que reste-t-il de la culture française ?, trad. Michel Bessières, Paris, Denoël, 2008, p. 75-76.

« Le magazine économique allemand Capital, qui suit de très près la scène artistique internationale, a mis au point un instrument fiable ou, du moins, généralement reconnu comme tel. Chaque année, le magazine publie son Kunst Kompass (boussole de l’art), soit la liste des cent artistes les plus influents dans le monde, à partir d’une formule complexe qui prend en compte divers critères tels que les mentions dans les principales publications consacrées à l’art, la présence d’œuvres dans les grandes collections et la participation aux manifestations d’envergure internationale. En 2007, l’Allemagne comptait trente-six noms sur cette liste, les États-Unis, vingt-six, le Royaume-Uni, onze. La France, elle, devait se contenter de quatre mentions (Christian Boltanski, Daniel Buren, Sophie Calle et Pierre Huyghe). Aucun Français n’apparaissait parmi les dix premiers, alors que quatre Allemands et quatre Américains y figuraient. »

lundi 4 décembre 2017

Renaud Camus, La Grande Déculturation, Paris, Fayard, 2008, p. 150-151.

« Le modèle, la référence mythique, la seule forme actuellement concevable d’une lointaine et infime espérance, ce sont les couvents du haut Moyen Âge, où trouvèrent un abri, au milieu de la violence et de la barbarie, et dans l’attente d’hypothétiques temps meilleurs, autant de lambeaux de la civilisation antique qu’il était possible d’en sauver tant bien que mal. Nos couvents à nous, laïques et culturels, ne pourront sans doute pas être réels, car il n’y a plus d’isolement possible sur le territoire entièrement quadrillé, commercialisé, banalisé, aménagé, viabilisé, couvert, de la banlieue universelle. En revanche, et sauf effondrement cataclysmique de ce système-là, il ne tient qu’à nous que de tels sanctuaires soient virtuels, et jamais dans l’histoire de l’humanité le virtuel n’a tenu entre ses lacs tant de réalité et de substance. Nous voyons tous les jours Internet, géniale invention aux usages fourvoyés comme tant d’autres avant elle, servir à la fois d’instrument et de vitrine à la grande déculturation. Il ne tient qu’à nous, à ceux qui le désirent, qu’il soit aussi – il l’est déjà un peu – le moyen d’un sauvetage, l’instrument d’une préservation et le témoin d’une survie. »