dimanche 29 septembre 2013

Booba, rhéteur magnifique


Très attendu, Booba sort son sixième album Futur. Somptueux.

La rhétorique conçoit le langage non dans son adéquation avec le monde mais dans son efficace sur lui. Cet art ne se limite pas à la formation du discours, il embrasse tous les paramètres de l’existence.
Logos egotrip
Si les punchlines de Booba marquent les esprits, ce n’est pas uniquement par la présence de certaines images ou "métagores" (Ravier, 2003), c’est d’abord par la figure de l’antithèse: "J’aime bien les préliminaires, j’préfère les échauffourées." (Caramel) Dans cet exemple, Booba étonne cinq fois: on attendait "j’aime pas" en début de seconde proposition; le glissement de registre du sexuel à la bagarre; la réunion des deux isotopies; l’aveu d’un romantisme inhabituel; la rareté du terme final.
L’egotrip de Booba est d’autant plus convaincant qu’il met en scène l’infériorité de son adversaire, que ce soit à travers son temps de retard: "Tu crois qu’tu viens d’serrer une bombe, t’es juste en train d’baiser mon ex" (O.G.); sa stagnation: "J’suis dans les airs, t’es dans les bouchons" (Caramel); son ridicule: "J’suis so fresh, t’es grotesque" (Maki Sall Music); ou encore sa déconfiture: "J’suis à Bercy pendant que ta carrière se coupe les veines." (Pirates)
Pathos endeuillé
Le 22 mai 2011, 92i perdait Bram’s. Depuis, sa disparition hante les textes de Booba: "Brazza tu n’es pas là" (C’est la vie); "Numéro 7 repose en paix" (Rolex); "Je n’te vois plus nulle part sauf quand je ferme les yeux." (2PAC) Pas de meilleur indice de cette affectivité que la prédominance du vocoder. Mais même si le deuil va jusqu’à modifier le rapport à la mort: "J’aurai le sourire quand la faucheuse me tendra la main" (2PAC), au final il appelle le contraire de l’abattement: "On avance têtes baissées pour qu’il soit fier du 92i." (Futur)
Ethos nique sa mère
A contre-courant des campagnes de santé publique "Joint dans la bouche, verre à la main, j’passe les vitesses" (2PAC), Booba prône un rap désengagé "Je suis là pour tout baiser, pas pour sauver l’humanité" (Tombé pour elle) et désinvolte "J’m’en fous de c’que tu penses, j’emmerde le monde entier." (Tout c’que j’ai) Les mauvaises langues parlent déjà d’un Booba pur produit de la société, à l’image des spéculateurs boursiers, c’est oublier la distance qu’il garde avec sa pratique artistique, que l’envie de réussir, d’être le meilleur, de se battre, peuvent être autre chose que des instincts de traders, que son mérite s’est construit sur la durée, et que l’étendue de son regard porte plus loin que les ornières du présentisme.

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