vendredi 23 décembre 2016

Alain de Libera, Raison et Foi. Archéologie d'une crise d'Albert le Grand à Jean-Paul II, Paris, Seuil, 2003, p. 30.

"Si, pour prendre un exemple que j'affectionne, les médiévaux ont connu des logiques admettant des lacunes dans les valeurs de vérité (ce qu'on nomme aujourd'hui truth-value gaps), si certains esprits se sont élevés jusqu'à l'idée de la possibilité d'une réalisation d'états contradictoires dans la nature, bref, si certains auteurs ont renoncé au principe de contradiction, ce n'est pas parce que, philosophes de métier, ils ont développé contre les théologiens les possibilités latentes de la logique d'Aristote, c'est parce que, théologiens de métier, ils ont, contre Aristote, répondu par des notions nouvelles à des problèmes nouveaux, spécifiquement théologiques - de l'assignation du moment précis de la transsubstantiation à l'analyse des propriétés logiques du mouvement angélique. Le progrès existe: il n'emprunte pas toujours les itinéraires recommandés. Comme le rappelait P. Vignaux citant Victor Delbos: '[...] il est vain de présumer que tout ce qui est susceptible de prendre un sens rationnel doit nécessairement entrer dans le monde et dans l'esprit humain par la voie de la simple raison.'"