lundi 22 janvier 2018

John Douglas & Mark Olshaker, Mindhunter. Dans la tête d'un profileur [1995], trad. Agathe Fournier de Launay, Neuilly-sur-Seine, Michel Lafon, 2017.

« Tout ça pour vous dire que j'aurais bien aimé qu'il suffise de fourrer une main – ou n'importe quelle autre partie du corps – dans une machine pour obtenir un profil ! Pendant des années, des experts en informatique ont travaillé avec des enquêteurs à la conception de logiciels qui reproduiraient les étapes de notre raisonnement. Sans succès.
Les choses ne sont pas aussi simples ! L'analyse des lieux du crime et du profil du criminel ne se résume pas à enregistrer des données dans une machine puis à appuyer sur un bouton. Pour établir un profil valable, vous devez être en mesure d'évaluer un grand nombre d'éléments et de pièces à conviction. Mais il faut aussi que vous soyez capable de vous identifier à l'agresseur et à sa victime.
Vous devez recréer mentalement la scène du crime. Il faut que vous en sachiez le plus possible sur la victime pour pouvoir imaginer comment elle a pu réagir dans la situation où elle s'est trouvée. Vous devez être capable de vous mettre à sa place quand l'agresseur l'a menacée avec une arme, un couteau, une pierre, avec ses poings ou autre chose encore. Vous devez ressentir sa peur quand il s'est approché d'elle. Vous devez ressentir sa douleur quand il l'a violée, battue ou tailladée. Vous devez imaginer ce qu'elle a enduré quand il l'a torturée pour satisfaire ses fantasmes sexuels. Vous devez comprendre ce que l'on éprouve quand on crie de terreur et d'agonie en sachant que cela ne changera rien, que cela ne l'arrêtera pas. Vous devez savoir tout ce que la victime a ressenti. Et c'est particulièrement difficile à supporter quand il s'agit d'un enfant ou d'une personne âgée. »

jeudi 18 janvier 2018

Jarett Kobek, Je hais Internet [2016], trad. Jérôme Schmidt, Paris, Pauvert, 2018, p. 88-89.

« CHAQUE VIDÉO hébergée par YouTube était accompagnée d'une interface à travers laquelle les utilisateurs pouvaient commenter la vidéo en question. Ce système alimentait les débats entre utilisateurs de YouTube.
Typiquement, ces débats avaient pour sujet : 1) Si oui ou non la personne de la vidéo, bien souvent une gamine de treize ans, était une petite salope dégueulasse qui méritait de crever. 2) Si oui ou non le président Obama détruisait le pays et/ou suçait des bites en enfer. 3) Si oui ou non les autres utilisateurs commentant la vidéo étaient de pauvres cons. 4) Si oui ou non les Noirs étaient des Cø##@®. 5) Si oui ou non les hommes asiatiques avaient des petits pénis. 6) Comment les clandestins mexicains volaient les meilleurs emplois.
Afin de participer à ces débats, durant lesquels de petites gens s'attaquaient à d'autres petites gens, les utilisateurs de YouTube revenaient voir la vidéo plusieurs fois.
Chaque fois que les utilisateurs de YouTube revenaient voir la vidéo et renouvelaient leur intention de traiter une inconnue de petite salope dégueulasse qui méritait de crever, Google vendait de la publicité et engrangeait encore un peu plus d'argent.
Google gagnait de l'argent grâce à des débats se demandant si oui ou non le président Obama suçait des bites en enfer tandis qu'il détruisait l'Amérique. Le tout légèrement saupoudré de commentaires quant au fait que les Noirs étaient, ou non, des Cø##@®.
Tout allait bien. YouTube avait la même réputation que Twitter. C'était un outil pour activistes qui célébrait la liberté de parole et la liberté d'expression. Cela avait apporté le printemps au Moyen-Orient. »

dimanche 7 janvier 2018

Christopher Lasch, La Culture du narcissisme. La vie américaine à un âge de déclin des espérances [1979], trad. Michel L. Landa, Paris, Flammarion, 2010, p. 79-80.

« Mais la bureaucratie n'est que l'un des nombreux facteurs sociaux encourageant une prédominance sans cesse accrue de la personnalité de type narcissique. Un autre de ces facteurs est la reproduction mécanique de la culture, la prolifération d'images visuelles et auditives dans notre 'société du spectacle'. Nous vivons dans un tourbillon d'images et d'échos qui interrompt l'expérience et la rejoue au ralenti. Les caméras et les machines à enregistrer ne transcrivent pas seulement le vécu, elles en altèrent la qualité, donnant à une grande partie de la vie moderne le caractère d'une énorme chambre d'échos, d'un palais des miroirs. La vie se présente comme une succession d'images ou de signaux électroniques, d'impressions enregistrées et reproduites par la photographie, le cinéma, la télévision, et des moyens d'enregistrement perfectionnés. La vie moderne est si complètement médiatisée par les images électroniques qu'on ne peut s'empêcher de réagir à autrui comme si leurs actions – et les nôtres – étaient enregistrées et transmises simultanément à une audience invisible ou emmagasinées pour être scrutées plus tard. 'Souriez, la caméra invisible vous observe!' L'intrusion de cet oeil omniprésent dans la vie quotidienne ne nous étonne plus et ne nous surprend plus sans défenses. Inutile de nous rappeler qu'il faut sourire. Ce sourire accueillant, bienveillant s'est gravé sur nos visages et nous savons même sous quels angles il est le plus flatteur. »