jeudi 18 mai 2017

Kurosawa Kiyoshi, Kairo [2001], trad. Karine Chesneau, Arles, Philippe Picquier, 2002, p. 62-63.

"- Quand on trouve que ça ne marche pas du tout entre soi et le monde, l'ordinateur peut apparaître comme un objet très attirant. Ce n'est qu'une machine, bien sûr, avec des bases de fonctionnement simplistes. Mais à force de le bidouiller ici et là et de développer ses capacités avec toutes sortes de logiciels, on lui découvre souvent des possibilités que personne n'avait imaginées au départ. Il y a des gens qui croient aveuglément aux possibilités illimitées des machines et d'autres qui craignent que ces boîtes inquiétantes n'échappent à leur contrôle, ce qui pourrait faire l'affaire de Dieu ou du diable.
- Pour moi, c'est le diable!
- Moi, quand on me pose la question, je me limite à dire et à redire que c'est un produit dont on a une connaissance imparfaite. Il faut que les scientifiques poursuivent leurs recherches mais c'est de le vendre comme produit de masse qui a été une erreur. L'ordinateur n'est pas dangereux. Le danger, c'est les divagations de ceux qui les manipulent. Que ce soit pour la drogue, les armes, l'énergie nucléaire, tout ce qui représente un danger, les Etats établissent des systèmes de contrôle, non? Mais pas pour les ordinateurs. On a l'impression qu'ils ne présentent aucun risque en soi. La preuve, au début, on ne savait même pas à quoi ils pourraient servir. Si bien qu'on n'a jamais imaginé que l'homme puisse en faire une machine infernale!"

mardi 16 mai 2017

Alain Finkielkraut, "Fatale Liberté", in Alain Finkielkraut et Paul Soriano, Internet, l'inquiétante extase, Paris, Mille et une nuits, 2001, p. 29-31.

"Un chapitre de l’ouvrage À l’école des robots, tout à fait intéressant, est intitulé, de façon prospective, ‘25 novembre 2010, Projet Rimbaud’. Le Projet Rimbaud est un travail collectif et multinational. Trois établissements y participent: les collèges de Courbevoie et Charleville, et le Centre culturel français au Yemen. Il doit aboutir à la création en commun d’un DVD sur l’œuvre du poète et sa vie aventureuse.
Un agent pédagogique virtuel, baptisé Verlaine, coordonne les contributions des élèves et les interventions des trois professeurs: des enseignants numériques déchargent les enseignants humains de leurs tâches les plus répétitives. Verlaine et les trois éducateurs charnels travaillent, si j’ose dire, main dans la main…
Les tâches sont partagées: à Charleville et à Courbevoie, on mène des enquêtes sur le parcours du poète en France (évocation du Paris de 1870 avec une caméra vidéo numérique) à Aden; on s’intéresse, bien entendu, à la saga africaine du poète.
Les trois classes travaillent en outre sur ‘Le Dormeur du val’. ‘Ce sonnet dénonçait la cruauté des combats de façon étonnamment moderne, écrit Michel Alberganti. Au-delà de l’analyse de la construction du poème, les élèves, qui ont l’âge du poète, tenteront d’en écrire de nouvelles versions à partir de leurs propres sentiments sur la mort violente d’adolescents.’
Avec tous ces merveilleux instruments, avec toutes ces techniques futuristes, nos élèves deviendront-ils de meilleurs lecteurs de Rimbaud attentifs à ce qu’il a d’unique et peut-être d’inactuel à nous dire? Non, bien sûr, car il leur faudrait pour cela s’immobiliser, se débrancher, s’écarter de leurs habitudes et de leurs allégeances, non se mettre en réseau.
Un poème est un poème, et c’est sur une feuille imprimée qu’on peut le découvrir, y revenir, l’apprendre, l’expliquer. Il faut aux mots du poème un domicile fixe, un lieu où on les laisse tranquilles. Ce lieu, c’est le livre.
L’écran remplit donc un tout autre rôle. L’élève internaute n’est plus lecteur, mais un reporter du passé, un collecteur d’informations, un journaliste dans l’Histoire. Et c’est aussi un créateur, un jeune stimulé par un autre jeune – Arthur – à mettre en mots sa révolte contre la société, contre la police, contre le racisme.
Nul besoin d’Internet pour lire. On a besoin d’Internet, en revanche, pour noyer le livre. On a besoin d’Internet pour mettre les mots en mouvement, pour les faire voler, pour en finir avec le scripta manent! On a besoin d’Internet pour passer de l’auteur et des égards qu’on lui doit à la communication exubérante et au droit d’être auteur désormais reconnu à chacun. On a besoin d’Internet pour dissoudre toute sacralité, toute altérité, toute transcendance dans l’information et dans l’interaction. On a besoin d’Internet pour passer de l’œuvre à ce qu’on appelait, avec une subversive majuscule, dans les années soixante-dix, le Texte."

mardi 9 mai 2017

Alistair "The Doctor" Pratt, in William Malone, FeardotCom, 2002.

"Toi et moi avons une grande responsabilité envers eux. Ils sont là pour voir mais aussi pour apprendre. Nous expliquerons donc que réduire les relations à des signaux électroniques anonymes est une perversion."

"Internet offre la naissance, le sexe, le commerce, la séduction, le prosélytisme, la politique, l'artifice. La mort s'y inscrit logiquement. Une expérience d'autant plus intime qu'on connaît la victime."

Le Books du jour, "Un livre fait (et défait) par ses lecteurs", 9 mai 2017.

"Quand vous ouvrez A Universe Explodes, vous trouvez une histoire signée de Tea Uglow mais aussi des dizaines de modifications faites par les lecteurs précédents. Car pour lire ce roman, uniquement disponible en format numérique, il faut que le lecteur travaille.
A chaque page, il doit retirer deux mots et en ajouter un. Sans cela, il ne peut pas découvrir la suite de l'histoire. Cent exemplaires ont été confiés à des 'propriétaires', charge à eux de le modifier et ensuite de le transmettre à un nouveau lecteur-éditeur. A chaque changement, ils créent un livre différent, tout en le détruisant petit à petit puisque de plus en plus de mots disparaissent. Mais ce n'est pas un problème. Car ce livre se veut une exploration philosophique du concept de propriété: que se passe-t-il quand elle n'est plus définie par l'achat mais par l'interaction avec l'objet?
L'auteur Tea Uglow explique que ce projet cherche à recréer le lien entre le lecteur et le livre numérique, qui contrairement au papier n'est pas lentement détruit par les surlignages, notes, pages cornées ou arrachées... Si l'expérience ne donne pas vraiment l'impression d'être propriétaire, souligne Richard Lea dans The Guardian, 'il sera intéressant de voir les différentes éditions évoluer et se désagréger', d'autant plus que l'histoire initiale est celle d'une vie qui part en déconfiture."

jeudi 4 mai 2017

Carl Wilson, Let’s Talk About Love. Pourquoi les autres ont-ils si mauvais goût ? [2014], trad. Suzy Borello, Marseille, Le mot et le reste, 2016, p. 87-88.

"En collaboration avec le compositeur et neuroscientifique new-yorkais Dave Soldier, ils [Vitaly Komar et Alexandir Melamid] menèrent une enquête de plus petite envergure sur Internet afin de produire une musique adaptée au goût du public, ‘The People’s Choice Music’. Selon les exigences du sondage, l’hilarant ‘Most Unwanted Song’, la ‘chanson la moins désirée’, dure plus de vingt-cinq minutes et inclut des accordéons, de la cornemuse, un chœur d’enfants, du banjo, de la flûte, du tuba et des synthétiseurs (l’unique instrument présent à la fois dans le titre le plus et le moins désiré), ainsi qu’un mélange d’opéra, de rap, de musique d’ambiance et atonale, de jingles de publicité et de chants de Noël. La chanson ‘la plus désirée’, celle qui serait ‘inévitablement ‘appréciée’ de manière incontrôlable par soixante-douze pour cent, avec une marge d’erreur de douze pour cent, des auditeurs’, consiste en un slow de R&B avec un duo homme-femme sur fond de guitare, de sax, de batterie, de synthés et de cordes. Selon les critiques, on aurait cru entendre… du Céline Dion ; tous affirmèrent préférer largement la chanson ‘la moins désirée’."