mardi 29 novembre 2016

James Flint, Habitus [1998], trad. Caro, Paris, Folio, 2004, p. 96-97.

"Moses lui-même s'était mis à l'informatique, via la politique, d'une façon détournée. Il était en fac lors des élections présidentielles de 1952 et il n'avait pas oublié le soir où les résultats furent connus. CBS, la chaîne qu'il regardait, avait requis un ordinateur UNIVAC pour soutenir la couverture électorale de Walter Cronkite. Ils allaient s'en servir pour prédire les résultats - c'était un exploit en relations publiques dû à la Remington Rand, qui avait construit la machine. Ils possédaient un système de programmation permettant de surveiller les résultats dans divers États clefs et de deviner l'issue sur cette base. Moses avait été rivé à l'écran. Il trouva que cet engin était extra, que l'énorme placard bourré de composants électroniques et de lumières clignotantes était vraiment trop sexy. Il avait travaillé dans toutes sortes de bureaux, au cours de ses années d'étude, et il connaissait les structures de pouvoir dans ces endroits. Il savait - mieux, il sentait - comment ils travaillaient, tous ces cadres imbus d'eux-mêmes et qui couraient partout, tous ces employés qui le prenaient de haut avec leurs petits boulots ennuyeux, toutes ces dactylos et standardistes que leur propre efficacité faisait bicher. Les bureaux étaient des machines, des machines de bois, de chair et de pierre, et vous aviez beau les travestir à votre guise avec des commérages et de la politique intérieure, ils n'en restaient pas moins des machines. D'après Moses, il était clair que ce qu'ils réclamaient tous, c'était un de ces machins, un de ces ordinateurs, un calculateur électronique. C'était clair comme de l'eau de roche: cette machine allait combler les désirs de tous ces cols blancs obsédés par les tâches à accomplir. On tenait enfin là l'employé parfait: donnez-lui de l'information, dites-lui quoi faire, il vous répondra. C'était ce que voulait tout le monde, avait-il pensé à l'époque et souvent depuis, car depuis le sommet jusqu'à la base, dans toutes les organisations, ce qui faisait marcher ces gens, c'était le frisson de plaisir qui les parcourait quand ils accomplissaient une tâche, dépouillaient leur courrier, allaient poser une crotte. Voilà ce que pouvait faire cette machine pour eux. Elle pouvait les aider à poser leur crotte. Et c'est alors qu'il comprit qu'il y avait ici de l'argent à se faire. Beaucoup d'argent. Après tout, les Américains adoraient chier."

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