samedi 28 janvier 2017

Dominique Boullier, Sociologie du numérique, Paris, Armand Colin, 2016, p. 33-34.

"Lorsque le Bureau of the Census américain (ou Census Bureau) veut lancer son recensement de 1890, il doit constater qu’il n’a toujours pas fini de traiter le précédent qui date de 1879. Il est alors fait appel aux machines mécanographiques de Hollerith qui avait déposé une demande de brevet en 1886. Sa machine, à base de cartes perforées, elle aussi, utilise un codage binaire des données mais fonctionne déjà à l’électricité. Sa puissance de calcul se traduit en rapidité qui va séduire tous les États européens dans les premières décennies du XXe siècle.
La capacité de gérer le nombre est en effet un enjeu clé de tout État, du point de vue politique comme du point de vue administratif, pour en faire une politique des grands nombres (DESROSIÈRES, 1993). Le succès des machines Hollerith sera tel que la compagnie sera transformée en IBM (International Business Machines) en 1924 par Watson, dont le nom serivra à désigner l’intelligence artificielle version IBM dans les années 2010. Cet IBM occupera tout l’espace administratif pendant près de soixante ans, avant l’émergence de la microinformatique et continue de jouer un rôle essentiel dans les grands systèmes d’information, notamment urbains. En 1924 aussi, se crée la compagnie Bull en France, selon les mêmes principes. Les grands acteurs du numérique ont eux aussi une histoire longue et ne sont pas tous nés dans la Silicon Valley ! L’impératif du calcul n’est donc pas seulement un effet d’une pression à l’innovation technologique, il relève d’une nouvelle forme de gouvernement, appuyé sur des ‘instruments’ (LASCOUMES et LE GALÈS, 2007) parmi lesquels les machines jouent un rôle important. Les grandes administrations statistiques seront, elles aussi, créées en lien direct avec cette disponibilité des machines : ainsi Carmille, en France, en 1940, utilise les militaires démobilisés comme lui pour créer le service de démographie qui exploitera les machines mécanographiques entre les recensements, ce qui donnera l’INSEE en 1946."

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