mardi 20 mars 2018

Jeremy Narby, Le Serpent cosmique, l'ADN et les origines du savoir [1995], Genève, Georg, 2012, p. 102-103.

« Les enzymes de lecture ne lisent que les passages de l'ADN qui codent pour la construction de protéines et d'enzymes. Ces segments, appelées "gènes", représentent seulement 3 % du génôme humain. Les 97 % restants ne sont jamais lus ; leur utilité demeure mystérieuse.
Les chercheurs ont trouvé, éparpillées dans ces parties non-codantes du texte, de nombreuses séquences sans queue ni tête, qui se répètent inlassablement, et même des palindromes, c'est-à-dire des mots ou des phrases qui peuvent être lus dans un sens ou dans l'autre. Ils ont appelé ce charabia apparent, qui constitue la plus grande partie du génome, junk DNA – de l'ADN camelote.
Dans cette "camelote", on trouve, par exemple, des dizaines de milliers de passages comme celui-ci : ACACACACACACACACACACACACACA… Il existe même une séquence, longue de trois cents lettres, qui est répétée un demi-million de fois en tout. L'ensemble des diverses répétitions occupe environ un tiers du génôme. Leur sens est à ce jour inconnu.
Les biologistes Chris Calladine et Horace Drew résument ainsi la situation : "La plus grande partie de l'ADN dans notre corps fait des choses que nous ne comprenons pas pour l'instant".
Dispersés dans cet océan de non-sens, les gènes représentent une sorte de terre ferme où le langage de l'ADN devient compréhensible : tous les mots ont trois lettres, et comme l'alphabet de l'ADN dispose de quatre caractères, il y a (4 x 4 x 4 =) soixante-quatre mots possibles. Les soixante-quatre mots du code génétique possèdent tous un sens, et correspondent soit à un des vingt acides aminés utilisés dans la construction de protéines, soit à l'un des deux signes de ponctuation ("start", "stop"). Il y a donc vingt-deux sens possibles pour soixante-quatre mots. Cette redondance a fait dire aux chercheurs que le code génétique était "dégénéré". En fait, il s'agit simplement d'un langage riche en synonymes. C'est un peu comme une langue où des mots aussi différents que "jaguar" et "panier" auraient régulièrement le même sens.
La réalité s'avère encore plus complexe lorsqu'on va dans le détail. Ainsi, à l'intérieur même des gènes, il existe de nombreux segments non-codants, appelés "introns". Aussitôt transcrits par les enzymes de lecture, ces derniers sont éliminés du message génétique par des enzymes de rédaction. Celles-ci découpent les introns avec une précision atomique et raccordent les passages réellement codants, appelés "exons". Certains gènes contiennent jusqu'à 98 % d'introns – ce qui signifie qu'ils ne comportent que deux pour cent d'information génétique. Le rôle de ces introns demeure mystérieux.
La proportion d'introns et d'exons dans le génôme humain n'est pas encore connue, car pour l'instant, seuls quatre mille gènes sont répertoriés, sur un total qui varie, selon les estimations, de cent mille à quatre cent mille. Autrement dit, on ne connaît, aujourd'hui, guère plus d'un pour cent de nos propres gènes.
Au sein de l'ADN, les passages "camelote" alternent donc avec les gènes et, à l'intérieur de ces derniers, les introns s'entremêlent aux exons qui eux-mêmes sont exprimés en un langage où presque chaque mot possède des synonymes.
Au niveau de son contenu et de sa forme, l'ADN se présente comme un langage doublement double qui s'enroule autour de lui-même.
Tout comme le langage double et entrelacé des esprits de la nature. »

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