Très attendu, Booba sort son
sixième album Futur. Somptueux.
La rhétorique conçoit le langage non dans son adéquation avec le monde
mais dans son efficace sur lui. Cet art ne se limite pas à la formation du
discours, il embrasse tous les paramètres de l’existence.
Logos egotrip
Si les punchlines de Booba marquent les esprits, ce n’est pas
uniquement par la présence de certaines images ou "métagores" (Ravier, 2003),
c’est d’abord par la figure de l’antithèse: "J’aime bien les préliminaires, j’préfère
les échauffourées." (Caramel) Dans
cet exemple, Booba étonne cinq fois: on attendait "j’aime pas" en début de
seconde proposition; le glissement de registre du sexuel à la bagarre; la
réunion des deux isotopies; l’aveu d’un romantisme inhabituel; la rareté du
terme final.
L’egotrip de Booba est d’autant plus convaincant qu’il met en scène
l’infériorité de son adversaire, que ce soit à travers son temps de retard: "Tu
crois qu’tu viens d’serrer une bombe, t’es juste en train d’baiser mon ex" (O.G.); sa stagnation: "J’suis dans les
airs, t’es dans les bouchons" (Caramel);
son ridicule: "J’suis so fresh, t’es grotesque" (Maki Sall Music); ou encore sa déconfiture: "J’suis à Bercy pendant
que ta carrière se coupe les veines." (Pirates)
Pathos endeuillé
Le 22 mai 2011, 92i perdait Bram’s. Depuis, sa disparition hante les
textes de Booba: "Brazza tu n’es pas là" (C’est
la vie); "Numéro 7 repose en paix" (Rolex); "Je n’te vois plus nulle part sauf quand je ferme les yeux." (2PAC) Pas de meilleur indice de cette
affectivité que la prédominance du vocoder. Mais même si le deuil va jusqu’à
modifier le rapport à la mort: "J’aurai le sourire quand la faucheuse me tendra
la main" (2PAC), au final il appelle
le contraire de l’abattement: "On avance têtes baissées pour qu’il soit fier du
92i." (Futur)
Ethos nique sa mère
A contre-courant des campagnes de santé publique "Joint dans la bouche,
verre à la main, j’passe les vitesses" (2PAC),
Booba prône un rap désengagé "Je suis là pour tout baiser, pas pour sauver
l’humanité" (Tombé pour elle) et
désinvolte "J’m’en fous de c’que tu penses, j’emmerde le monde entier." (Tout c’que j’ai) Les mauvaises langues
parlent déjà d’un Booba pur produit de la société, à l’image des spéculateurs
boursiers, c’est oublier la distance qu’il garde avec sa pratique artistique, que
l’envie de réussir, d’être le meilleur, de se battre, peuvent être autre chose que
des instincts de traders, que son mérite s’est construit sur la durée, et que l’étendue
de son regard porte plus loin que les ornières du présentisme.
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